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L’urgence de la réforme de l’ordonnancement juridique sur la communication sociale au Cameroun – Par Hervé Wouemetah

Hervé Wouemetah est directeur de Publication de FINANCIA. Il s’exprime après le rappel à l’ordre du Ministre de la communication à l’endroit des Directeurs de publication. René Emmanuel Sadi invite au respect plus rigoureux des dépôts physiques des journaux tel que le prévoit la loi de 1990. Tribune

 Le communiqué du Ministre de la Communication, Monsieur René Emmanuel SADI, daté du 02 Juillet 2021 et publié en anglais et en français est depuis lors au centre de toutes les attentions et commentaires tant au sein de la société civile que dans l’univers journalistique camerounais.

Ce communiqué a formellement rappelé à l’endroit des éditeurs d’organes de presse résidant au Cameroun ou à l’étranger, leur obligation de dépôt administratif, consistant notamment – et telle est la substance de l’article 16 de la loi N°90/052 du 19 décembre 1990 sur la liberté de communication sociale – à « déposer auprès des services centraux ou extérieurs du ministère chargé de l’information, selon le lieu du siège de l’organe de presse, deux exemplaires signés, deux heures au plus tard après la parution ».

Appliquer la loi 31 ans après ?

Ce communiqué intervient dans un contexte pleinement marqué par la diversification des canaux de communication, laquelle est dictée pour sa part,  par la flambée des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont devenus tellement puissants, convoités et fréquentés par l’opinion publique nationale et internationale, que les principales communications opérées par les annonceurs même les mieux structurés, sont désormais orientées vers la cible des internautes.  A la faveur des développements technologiques qui facilitent plus que par le passé et sur tout le globe terrestre, l’accès grandissant à des smartphones par les populations âgées d’au moins 10 ans et de toutes les couches sociales, il est crucial de s’interroger sur la valeur ajoutée des réseaux sociaux sur les politiques de développement des nations.

 De fait, les éditeurs d’organes de presse ne semblent pas restés en marge de cette mouvance, lorsque la quasi-totalité de ces acteurs aurait désormais choisi – sous le prisme de la digitalisation ambiante – d’agir au mépris des dispositions pertinentes de la loi visée ci-dessus, en s’abstenant notamment de tirer des exemplaires physiques  de journaux qu’ils commettent et par conséquent, d’exécuter leurs obligations de dépôt légal ou administratif contenues dans les dispositions des articles 16 et 23 de la loi.

Le Ministre de la Communication dans cette sortie fait montre de sa volonté manifeste et républicaine à inverser la tendance en invitant les éditeurs à vouloir bien  se conformer à la lettre et à l’esprit de la loi. En le faisant, il joue pleinement son rôle de gardien du respect de la réglementation dans un secteur qui lui incombe au premier chef et de garant de l’application convenable de la loi N°90/052 du 19 décembre 1990 sur la liberté de communication sociale au Cameroun. La tradition administrative commande cette légalité tant que des écarts sont plus ou moins observés par ceux-là qui sont assujettis au respect de la réglementation.

Toutefois, au regard des avancées technologiques et du développement de l’économie numérique qui prend davantage de proportions, l’on peut à juste titre questionner l’applicabilité de cette loi, 31 ans après sa promulgation. Les enjeux et prétexte qui avaient conduit à son adoption en 1990 sont-ils les mêmes aujourd’hui ? La réponse négative nous semble plausible si l’on s’en tient à la digitalisation qui est devenue la chose la mieux partagée et qui hier, soit en 1990 n’était qu’une vue de l’esprit dans les économies africaines et même sur le plan mondial dans une certaine mesure. C’est dire toute la nécessité que revêt la réforme de l’ordonnancement juridique encadrant et régissant la communication sociale au Cameroun.  Les éditeurs ont fait main basse sur la loi en ses dispositions pourtant pertinentes, pour s’arrimer à la nouvelle donne factuelle qui fait de l’internet et de la digitalisation, ou mieux de la numérisation, le nouvel ordre mondial. Le législateur camerounais devrait s’adapter aussi à cette mouvance au risque de sortir par la petite fenêtre d’un marché qu’il a lui-même institué.

Le numérique pour accompagner la nouvelle dynamique

Sans supprimer la presse écrite, le nouveau concept de presse numérique ou cybernétique doit être crée pour ainsi accompagner la nouvelle dynamique qui a vu le jour sur la toile et par laquelle les camerounais du terroir et de la diaspora s’informent davantage, au détriment des mécanismes classiques qui se traduisent par la production physique des journaux. Des mécanismes corrélatifs de contrôle administratifs devraient alors être imaginés ou pensés.

La dématérialisation est en effet le nouvel enjeu qui gouverne le monde en raison des effets néfastes qui entourent le physique. L’archivage numérique par exemple de plus en plus prôné par les organisations s’inscrit dans le même ordre, pour notamment décongestionner les espaces qui pourraient servir à d’autres fins et susciter la création de richesse.

Bien plus, la dématérialisation des titres financiers imposée par le législateur communautaire OHADA dans son Acte Uniforme sur les sociétés commerciales et les groupements d’intérêt économiques, obéit toujours à cette volonté de décongestionner les espaces physiques pour créer des espaces numériques qui abriteraient mieux et en toute sécurité les informations issues des données matérielles.

Il est certes une constance tirée de ce que les lecteurs se plaisent désormais à lire les grands titres des journaux dans les kiosques et dans les réseaux sociaux sans véritablement les acheter, ce qui plonge les éditeurs dans un climat délétère qui ne favoriserait nullement la production car nécessitant des moyens financiers. Cet état de fait implique une autre problématique axée sur les moyens dont disposent en vérité ces éditeurs pour produire les journaux en version physique, satisfaire leurs obligations de dépôt légal ou administratif, sans verser dans la « presse à gage ou du Hilton » dans un contexte marqué par une aide publique à la presse essentiellement modeste.

La réforme pour être efficace soumettrait l’accès à la profession d’éditeur à une enquête de moralité qui viserait à mettre hors de course des prévaricateurs ou prédateurs qui n’ont pour seul dessein en tant qu’éditeurs, qu’à nuire fondamentalement à travers le contenu de leurs productions numériques, aux intérêts des honnêtes gens et au détriment des principes cardinaux du journalisme.

Cette réforme devrait aussi prescrire l’institutionnalisation des filières spécialisées à l’ESSTIC, pour ainsi poser les jalons de la sectorialisation de la presse écrite ou numérique. Oui, il est fondamental de prôner la presse sectorielle pour faire davantage éclore les compétences et mieux traiter l’information que l’on veut relayer. Une presse spécialisée en finance ou en agriculture ou en santé ou en politique ou en économie et non la même presse qui traite de tous les sujets que l’on retrouve déjà sur la toile sous d’autres formats.

L’avenir de la presse écrite camerounaise est désormais face à son destin. L’adapter à la nouvelle dynamique c’est la porter très haut vers les panthéons de la gloire ; mais l’enfermer dans l’immobilisme c’est contribuer à acter son déclin.

This post was published on 12 juillet 2021 16 h 38 min

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