Marafa Hamidou Yaya à Jeune Afrique : « Il est de mon devoir de m’exprimer, quitte à ce que mon régime d’incarcération soit durci après cette interview »
L’ancien secrétaire général de la Présidence de la République, en prison depuis 2012, s’est livré à cœur ouvert à nos confrères de Jeune Afrique, après plusieurs années de silence.
Si jusqu’ici, il se contentait un peu de lettres ouvertes à l’endroit du chef de l’État, Marafa Hamidou Yaya, a décidé de parler chez Jeune Afrique. Et pour justifier cette première sortie médiatique après déjà 12 ans derrière les barreaux (sur les 25 qu’il doit passer en cellule), l’ancien secrétaire général de la Présidence de la République explique qu’il ne pouvait faire le dos rond face à la « situation grave » du Cameroun.
« La situation de mon pays, le Cameroun, est trop grave pour que je reste silencieux. Il est de mon devoir de m’exprimer, quitte à ce que mon régime d’incarcération, déjà extrêmement strict, soit durci après la publication de cette interview. Il est probable que ce durcissement affectera mes codétenus. J’espère qu’ils me le pardonneront. » pense-t-il en entame de son interview avec J.A
Abordant les conditions de sa détention celui qui a également été ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale, dit vivre un calvaire notamment à cause de la maladie qui détériore son œil droit.
« Je perds la vue. Tous les spécialistes recommandent une « opération de la dernière chance » pour m’éviter de devenir totalement aveugle. Comme cette opération n’est possible qu’à l’étranger, j’ai adressé au président de la République plusieurs demandes d’autorisation d’évacuation médicale. Elles sont restées sans réponse. Il en va de même des appels humanitaires qui lui ont été adressés par des personnalités nationales et étrangères de premier rang, auxquelles je veux dire ici toute ma gratitude. », confie Marafa Hamidou Yaya.
Arrêté le 16 avril 2012, Marafa Hamidou Yaya avait été condamné par le Tribunal criminel spécial (TCS) à 25 ans de prison ferme le 22 septembre de la même année, pour coaction de détournement de 31 millions de dollars (24 milliards de francs CFA), destinés à l’acquisition d’un avion neuf pour les voyages du chef de l’État. Le TCS avait jugé coupable Marafa d’avoir apporté son aide (sa « complicité intellectuelle ») à un montage financier qui aurait été monté par Yves Michel Fotso et destiné à détourner la majeure partie des 31 millions de dollars destinés à l’achat de l’avion présidentiel. Clamant son innocence, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République avait fait appel, mais en vain. Ses autres coaccusés, n’étant plus dans les geôles avec lui, il estime désormais être « un prisonnier politique ».
« Sur les six condamnés dans ce dossier, combien sont aujourd’hui encore en prison ? Un seul, moi. Le dernier à avoir été libéré l’a été il y a quatre ans. Ceci alors que, contrairement à d’autres, j’ai été condamné pour une prétendue « complicité intellectuelle », sans le moindre signe de détournement ou d’enrichissement personnel. Mon maintien en détention et la torture que je subis, en particulier à travers le refus de soins, car il s’agit bien de torture en termes juridiques, ne peuvent donc avoir qu’un caractère politique. C’est pour cela que l’ONU demande ma libération immédiate depuis 2016, et que les États-Unis, avec d’autres pays, me placent sur leur liste de prisonniers politiques depuis de nombreuses années. Mon cas n’est pas isolé. L’opération Épervier a donné lieu à des condamnations extrêmement lourdes, qui apparaissent aujourd’hui comme aléatoires, arbitraires, politiquement biaisées ou infondées. Sous ce régime, le recours à la torture est devenu systémique. », pense-t-il, affirmant qu’il n’a pas eu le sentiment d’avoir « été trahi » par Paul Biya dont il a été le plus proche collaborateur.
« Je crois pouvoir encore aider mon pays »
Au sujet de son avenir, Marafa Hamidou Yaya, pense qu’il peut encore faire des choses pour le Cameroun.
« Je crois pouvoir encore aider mon pays. J’ai pour cela la volonté, les idées et l’expérience. Toutefois, ma santé et ma survie sont entièrement soumises à l’arbitraire du président de la République, Paul Biya. Mais pour ce qui est de mon engagement futur au service de mon pays, il reste aux mains de la Providence. Ma génération semble avoir échoué dans son rêve de construire un Cameroun nouveau. Une mission plus impérieuse nous appelle. Elle consiste à empêcher que le Cameroun ne s’autodétruise irréversiblement. », dit-il.