Comprendre la métamorphose du paysage audiovisuel en Côte d’ivoire
Seul pays d’Afrique de l’Ouest à n’avoir pas libéralisé son secteur audiovisuel il y a encore trois ans, le pays des éléphants a rapidement damé le pion à ses voisins jusqu’au Cameroun. Ce dernier a pourtant connu la libéralisation de l’audiovisuel et donc sa première chaine de télé privée en 2000. Qu’est ce qui explique cette hégémonie subite de la Côte d’Ivoire ? Quelles ont été ses forces pour y parvenir en si peu de temps ? Médiatude décrypte en 2 points.
La télévision sur la « Terre des Éléphants » a été longtemps dominée par une seule chaine : la RTI. En effet, créée dans les années 1962, le groupe de Radiotélévision ivoirienne était le seul en place et ne proposant que deux chaînes généralistes la RTI 1 et la RTI 2. Avec la libéralisation de la télévision en Côte d’Ivoire opérée en 2017 sous le second mandat du régime Ouattara, on a eu droit à une floraison de nouvelles chaînes, concurrentielles sur le plan continental et mondial. Des canaux qui font pâlir d’envie les téléspectateurs et les médias étrangers.
L’importation du savoir-faire européen
Elle commence par la mise en place et l’administration. Mise à part La RTI 3 (encore appelée La 3, troisième chaîne du groupe à capitaux publics RTI), les nouvelles chaînes généralistes ivoiriennes ont bénéficié de l’apport des structures médiatiques européennes en ouvrant leur capital. En 2019, la Nouvelle Chaîne Ivoirienne ( NCI ) fait son apparition sous l’égide du célèbre animateur Cheick Yvhane, accompagné par le groupe Canal + et Loïc Folloroux, actionnaire et en outre beau-fils de ADO.
Quant à Life TV, bien avant son lancement en milieu d’année 2020, c’était officiel que la chaîne a bénéficié de l’appui du groupe M6. L’annonce avait été faite en 2018 au tout début du projet. Fabrice Sawegnon, l’homme d’affaires bénino-ivoirien (par ailleurs Directeur Général de Voodoo Afrique et fondateur de Vibe radio) a été soutenu sur son projet Life Tv par M6 qui en est actionnaire avec 33% des parts.
A+ Ivoire, la déclinaison ivoirienne de la chaîne panafricaine A+ est un investissement du groupe Canal+, qui bénéficie également de l’appui de Loïc Folloroux, une fois de plus actionnaire.
Des apports de l’Hexagone dont l’influence se fait sentir à bien des égards dans le positionnement de ces différents médias.
La collaboration avec la France s’est faite sous plusieurs plans. D’abord, la formation. En effet, dans un entretien accordé au magazine en ligne adweknow.com et consulté par Médiatude, le journaliste franco-camerounais Patrice Fandio confiait avoir tenu des formations d’amélioration des compétences pour la RTI. Il explique également avoir contribué à refaire le plateau du Journal Télévisé, tout en coachant la rédaction. Des formations de recyclage financées par l’administration de la RTI. Aussi, des animateurs et journalistes de ladite chaîne tels que Éva Amani, ont pu bénéficier d’une mise à disponibilité afin d’aller se perfectionner en Europe. Cette mutation de la chaine publique s’est faite sous la direction de Ahmadou Bakayoko, ex DG de la RTI, également moulé à l’école Canal +. Avant d’être porté à la tête de la RTI il sera Directeur Général Adjoint chargé du Développement des chaînes, la diversification et le développement des Ressources de la RTI. Ahmadou Bakayako a occupé des fonctions à Canal Overseas Africa, en France. Il était le Directeur chargé du Développement de l’entreprise (Business Development) chez Canal où il a gravi les marches.
La touche européenne a également été effective sur l’élaboration des plateaux. Qu’il s’agisse de Life Tv, RTI 3, NCI ou même Info 7, il faut être aveugle pour ne pas tomber sous le charme des plateaux que proposent ces nouvelles chaînes. Plexiglas, grande table vitrée, écrans led, son et éclairage dosés, caméras robots et grues, décor réaliste et millimétré, le matériel est de haute facture et répond aux normes internationales, pour le plus grand plaisir de nos yeux. L’on ne le sait peut-être pas, mais la plupart de ces chaînes n’utilisent qu’un seul studio, parfois un même plateau mais adapte le décor en fonction des émissions. C’est le cas de NCI, pour ses émissions « La télé d’ici » et « NCI 360 « .
Programmation et contenus light : le nouveau visage de la télévision « made in Babi ».
Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, une trentaine d’années après l’avènement de la télévision, il n’est plus question d’avoir des programmes de deux heures et plus, très souvent de débats politiques. En 2021, et ce depuis 2018, il faut compter sur une coloration à 80 % Entertainment et sports, avec des émissions de divertissement axés sur les peoples et la culture locale ; ainsi que des micros programmes de 6, 13 et 26 minutes maximum ou encore des grands reportages documentaires sur la culture et la société ivoiriennes. Par exemple sur La 3, vous retrouverez « Peopl’emik » ou encore « La grande Team » présentée par Teeyah ; tandis que sur Life TV ce sera « Life Talk » ou « Willy à midi », entre autres. Le principe est simple, deux programmes majeurs suffisent pour tenir l’audience en haleine et des visages forts pour les animer.
À ce sujet, les chaînes qui se livrent une concurrence rude dans la proposition et la programmation des contenus misent sur des visages forts, bien connus du public pour certains. La chanteuse Teeyah et Yves Aymard N’Guessan pour La 3, Konnie Touré, Brice Anoh et l’humoriste Willy Dumbo pour Life Tv, Cheick Yvhane pour NCI. Ces chaînes optent très souvent pour de visages neufs et jeunes comme c’est le cas d’Ali Diarrasouba, le présentateur du JT sur NCI (dont le journal animé ne passe pas inaperçu), Lincey Sibaï et Pierre Akpro, les chroniqueurs de « La télé d’ici » sur la même chaîne ou encore ceux de « Peopl’emik » sur La 3; mieux le jeune Brice Guigré à la présentation de « On se dit les gbès » sur A+ Ivoire. Une recette qui marche dans un contexte longtemps dominé par les mêmes visages pour tous les programmes. À présent, place à la jeunesse, pour conquérir un public moderne et plus exigeant.
La Côte d’Ivoire semble avoir compris la recette pour que tout marche comme dans le conducteur et montre aujourd’hui l’exemple à une Afrique francophone « dont la qualité audiovisuelle questionne, divise et reste discutable à bien des niveaux : le cas du Cameroun », estime des observateurs.
© Médiatude, S.B. avec Y.M.T.